Productivité et compétitivité

dimanche 1 septembre 2019
 MUCEM, Marseille, 2019



     Qui n’a jamais rêvé de devenir hyper-efficace afin de terminer cette tâche pénible et difficile qui prend des heures pour pouvoir enfin se relaxer et s'adonner à son passe-temps préféré ? Toi aussi tu connais cette sensation ? Alors le thème de cette semaine va certainement t’intéresser ! 
En cette veille de rentrée scolaire, j’ai décidé de me concentrer sur un sujet qui nous a tous et toutes déjà concernés un jour et qui continue sûrement de ponctuer le quotidien de la plupart d’entre nous : la productivité 

Origines du concept 

     La productivité correspond dans un premier temps au rapport entre l’objet produit et les différents facteurs qui sont entrés dans sa conception : temps, travail, dépenses diverses... Ce concept s’est davantage développé avec la révolution industrielle, la mécanisation des industries et la diffusion du modèle capitaliste à partir du XIXe siècle. Être productif, c’est alors produire plus en dépensant moins (que ce soit du temps, de l’énergie ou de l’argent par exemple). La productivité entre donc directement dans la définition du capitalisme puisqu’il repose sur le système de plus-value c'est-à-dire sur cet écart entre coût de production et valeur finale qui permet de gagner davantage d’argent.  

Le détournement de la productivité 

     Si j’arrive à terminer une tâche plus rapidement, je pourrais alors prendre du temps pour moi et me détendre. Voilà la motivation première à être productif. Cependant, le concept de productivité n’est plus si simple de nos jours. Car s’il libère du temps, c’est pour mieux l’occuper ensuite. Je m’explique en m’appuyant sur le monde du travail et de l’entreprise. Un individu fait normalement 35 heures par semaine, ce qui lui laisse assez de temps pour pratiquer des loisirs. Et qui dit loisir dit de nouveau dépenses ! Pour pouvoir se payer cette partie de bowling entre amis, cette séance de cinéma le vendredi soir ou ce concert tant attendu, il faut de l’argent. Nous travaillons donc pour pouvoir dépenser pendant notre temps-libre. Le système dans lequel nous vivons a été pensé de sorte que nous générons et dépensons de l’argent même quand nous ne travaillons pas.  

     Comme l'explique Hannah Arendt dans La Condition de l’homme moderne, nous vivons désormais dans un monde qui crée une dépendance à et par la consommation. Pour vivre nous avons besoin de travailler pour ensuite consommer, et comme nous consommons, nous détruisons ce que nous avons pu acheter grâce aux fruits de notre travail. Pour survivre nous sommes donc contraints de travailler de nouveau pour consommer, détruire puis travailler, consommer, détruire etc. Il faut donc être le plus productif possible pour ensuite pouvoir «  s'amuser  » et profiter de ses loisirs. C’est un cercle vicieux 

     Le concept de productivité a été détourné de sorte qu’il ne permet plus d’avoir plus de temps-libre mais qu’il nous enchaîne à la nécessité de travailler, de gagner de l’argent pour pouvoir faire davantage d’activités qui ont de la valeur aux yeux de la société : voyager et visiter le plus d’endroits possibles autour du monde, acheter une grande maison ou une belle voiture...  

La compétitivité comme moteur de la productivité 

     Normalement, la productivité correspond au fait de produire plus tout en (se) dépensant moins. Cependant, il semble qu'aujourd'hui la société pousse les individus dans leurs retranchements afin de produire encore et toujours davantage. C’est comme si pour exister il fallait se donner sans relâche, toujours faire plus et mieux que la norme ou que ce qui est nécessaire dans une situation précise. Rien ne semble assez satisfaisant pour s’en contenter. On entre, sans forcément en avoir conscience, dans une compétition permanente. Certains domaines nous y contraignent systématiquement comme dans le cadre professionnel. Les offres d’emplois intéressantes étant dorénavant moins nombreuses que les personnes qualifiées pour exercer une fonction, chacun doit donner le meilleur de soi pour avoir une chance d’obtenir le poste espéré. On ne se contente plus de présenter un diplôme ou une formation spécifique attestant de ses compétences sur un CV ; désormais, il faut également avoir des loisirs intéressants, faire des voyages originaux ou mener des projets collectifs ou personnels afin d’impressionner et de se démarquer. Être dans la norme ne suffit plus, il faut être exceptionnel, faire exception et rompre avec la règle habituelle.  

     Dès l’enfance, avec l’école et les systèmes de notation, on nous inculque implicitement cette compétitivité. Bien sûr le but de l’école n’est pas de pousser les élèves à entrer dans une compétition acharnée mais il s’avère que les différences et les écarts qui apparaissent entre les enfants sont symptomatiques, révélateurs de ce phénomène. Dans la suite de la scolarité, cela ne fait qu’augmenter avec des examens qui viennent affirmer ou infirmer la légitimité des élèves dans certains domaines - attention, je ne suis pas en train de dire qu’il faut supprimer toute notation ou tout examen du système scolaire. Ce n’est pas le débat et je ne suis pas là pour influencer ton opinion sur la question. - Le fait est qu’au lycée notamment, le but est de retenir un maximum d’informations et de connaissances par cœur pour ensuite les livrer sur la feuille d’examen (croyez-moi, je suis déjà passée par là 😄) 

     Pour ce qui est du supérieur, il ne déroge pas à la règle, il est même l'introduction à la vie professionnelle. La compétition ne fait qu’augmenter dans et entre les établissements. La sélectivité est plus marquée qu’avant. Les écoles et facultés apparaissent parfois sur des classements régionaux/nationaux/mondiaux témoignant de leur «  valeur » Il arrive aussi qu’elles s'appuient sur ces classements pour choisir leurs futurs étudiants selon le prestige de leur établissement d’origine.  

Mais quel est le lien avec la productivité ?  

     La réponse n’est pas forcément évidente mais pourtant bien réelle. Ces multiples formes de compétition génèrent une pression sur les individus et modifient leur manière d’appréhender les événements et l’avenir. Un stress peut naître de cette peur de ne pas faire assez bien, de ne pas faire assez tout simplement, d’avoir moins de valeur qu’un autre dans le système qui est le nôtre. A cause de la compétition, la productivité, le rendement personnel je dirais même, deviennent une obsession. 

     Se développent d’ailleurs dans ce sens de nombreuses applications, chaînes YouTube ou comptes Instagram dédiés à l’augmentation de la productivité. Rien de mal tu me diras mais en réalité ce genre de contenu de masse participe de l«  injonction  » à la productivité. Chaque jour nous sommes assaillis par ces images et techniques miracles pour devenir plus productif, et tout comme les photos de junk food donnent envie d’en manger et celles de mannequins génèrent des complexes qui n’ont pas lieu d’être, ces contenus incitant à la productivité peuvent créer un malaise ou un mal-être, une sorte de complexe d'infériorité. Pourquoi cette personne réussie-t-elle autant et pas moins ? Pourquoi est-ce que moi aussi je ne passe pas mon temps à travailler ou réviser pour devenir comme elle ? Derrière le positif se dissimule le négatif et ce qui se proposait comme une aide ou une solution devient un problème.  

     Certes mon but n’est pas de faire l’apologie de la procrastination - ce thème fera sans doute l’objet d’un autre article mais il faut savoir reconnaître quand un phénomène va trop loin ou a trop d’emprise sur notre perception du monde. La productivité et ses méthodes d’application au quotidien doivent rester un choix de la part de l’individu. Il faut savoir que l’on n’a pas moins de valeur parce qu’on ne se lève pas tous les jours à cinq heures du matin pour faire du sport, pratiquer la méditation, écrire son roman et cultiver son jardin avant de partir au travail pour la journée. La productivité peut vous aider à faire les choses dont vous avez envie en dépensant moins d’énergie mais en aucun cas la course au rendement ne doit inverser ce processus et générer davantage de fatigue et de stress.  


N'hésitez pas à partager votre opinion ou votre ressenti par rapport à cette « injonction » à la productivité (si on peut l'appeler comme ça).
Si jamais vous avez des références culturelles en lien avec le sujet ce serait également un plaisir de les connaître !




Nourriture de l’esprit - Mind food


Littérature 

ARENDT HannahLa condition de l’homme moderne (The Human Condition), 1958 
CLOULAS CécileCes marquent qui nous gouvernent, 2010 
EWEN StuartCaptains of Consciousness : Advertising and the Social Roots of the Consumer Culture, 1976 
A voir : différents livres de développement personnel sur la productivité, il y en a des milliers ! 

Cinéma 

Les Temps Modernes (Modern Times) de Charlie CHAPLIN, 1936, avec Charlie Chaplin : un classique inratable qui montre la réalité des usines mécanisées et quasi déshumanisées de l’époque industrielle. 

Le Loup de Wall Street (The Wolf of Wall Street) de Martin SCORSESE, 2013, avec Leonardo DiCaprio : cela ne traite pas directement du thème de l’article mais cela reste dans la même sphère : consommation, excès, avidité, ambitions, entre femmes, argent et pouvoir.  

Séries 

Profit de David GREENWALT et John McNAMARA, 1996 : je n’ai jamais regardé cette série donc je ne peux pas vous donner mon avis mais elle présente la vie quotidienne de Jim Profit, cadre dans une multinationale et prêt à tout pour gravir les échelons et être le meilleur. 

The Office de Ricky GERVAIS et Stephen MERCHANT, 2001-2003 : idem je ne l’ai pas vu mais j’en ai déjà entendu parler. Cette série humoristique maintenant culte pour les nombreux memes qu’elle a inspirés met en scène les employés d’un bureau dirigé par « le pire patron du monde ».  

Succession de Jesse ARMSTRONG, 2018 : idem mais cela parle d’une famille qui possède une puissante entreprise et qui entre dans une compétition acharnée autour de la succession du père/PDG qui se retire de la compagnie.  




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