Typologie du courage

lundi 21 octobre 2019
Renzo Piano, Pavillon d’exposition, 2017, Château La Coste, 2019 




     « Il nous manque le courage, beaucoup, souvent, et au fond, aujourd'hui, je voulais simplement vous dire que l'appel que je voudrais lancer, ce serait celui du retour du courage, sur deux sujets déjà, simplement, pour commencer : le courage de savoir bâtir la paix et le courage de la responsabilité. » Voici un extrait du discours d’Emmanuel Macron à la tribune de l’ONU le 24 septembre dernier, je ne suis pas là pour faire de la politique mais plutôt pour comprendre l’usage qui est fait d’un mot en particulier : « courage » 

     Le Président de la République française en appelle au courage mais qu’entend-t-il par-là ? Il évoque deux types de courage différents, qui entrent dans des contextes particuliers. Il y aurait le courage de s’opposer à la situation actuelle, celle du conflit environnant, et celui de la responsabilité, d’oser assumer ses actes et sa part d’engagement dans des phénomènes positifs ou négatifs, ne plus fuir ou se cacher derrière un inconnu responsable. Dès lors il me paraît intéressant de se pencher sur la définition du courage qui semble donc prendre de multiples formes et modalités selon la situation, les personnes, la portée des actes ou idées.  

Définition générale du concept de courage 

     De l’Antiquité grecque avec les hoplites qui ne connaissaient la « belle mort » que s’ils mouraient, au Moyen-Age avec ses preux chevaliers qui se faisaient face en duel lors des tournois, ou encore dans les westerns qui se déroulent lors de la conquête de l’Ouest du XIXe siècle, le courage se démontre - chez les hommes évidemment - dans un contexte d’affrontement, de combat guerrier ou armé où la vie de l’individu est mise en péril. Être courageux c’est alors rester debout et se confronter au danger sans fuir ou se dérober à la situation.   
     Le courage est une qualité, une vertu positive et méliorative qui est mis en avant par l’opinion commune et les représentations culturelles car elle s’apparente à une maîtrise de soi, une force par opposition à la lâcheté qui est perçue négativement. Cette « fermeté de cœur », cette « force d’âme » s’accompagne d’une prise de décision ou d’une action concrète dans le réel contre la passivité et l’inaction qui peuvent être synonyme de faiblesse. La multitude de super-héros qui marquent les bandes dessinées et la littérature fantastique souligne cette valorisation aiguë du courage (ici associé à la force physique pour la majorité des personnages). Le courageux est un homme fort, physiquement et mentalement, qui intervient dans des situations extrêmes pour sauver le commun des mortels d’un danger qui le menace et contre lequel il est impuissant. 

     Toutefois, le courage ne trouve pas uniquement son sens dans des circonstances extrêmes et extraordinaires. Il existe bien un courage qu’on pourrait qualifier d’ordinaire, qui nous concerne tous et que l’on peut chacun incarner. Pour comprendre cela, je vais tenter de dresser une typologie du courage (non exhaustive) qui part de la définition la plus répandue à la moins récurrente peut-être.  

Le courage primitif : se mettre en danger dans un contexte peu favorable 

     Ce type de courage est celui qui vient sans doute à l’esprit en premier et qui correspond aux représentations évoquées précédemment : un individu agit dans une situation dangereuse afin d’accomplir ce qu’il pense être le Bien. L’action prend alors la forme d’une opposition, d’une confrontation au contexte environnant. L’acte de bravoure qu’on retrouve dans les histoires d’antan est encore d’actualité puisque la guerre, les persécutions perdurent dans de nombreux pays et que la loi peut aussi s’apparenter à la frontière entre le danger et l’anodin.   
     Je m’explique : vivre dans un pays en guerre comme le Yémen ou la Syrie et s’élever face aux forces ennemies relève évidemment du courage mais dans nos sociétés occidentales relativement pacifiques - je précise que cela n’empêche pas nos armées d’être impliquées dans des conflits à l’étranger par exemple - le danger peut se trouver ailleurs, dans la relation entretenue avec la loi. Quoique la loi et la justice soient censées être là pour assurer le bien et l’égalité entre tous, il s’avère que la réalité est différente. Des situations illégales peuvent alors apparaître plus justes que la légalité. Les actes de désobéissance civiles sont protéiformes et s’affirment contre une loi jugée injuste. Par exemple, Cédric Herrou, un agriculteur, a été condamné à de la prison avec sursis pour avoir aidé des migrants à traverser la frontière italienne. Il était hors-la-loi pour la justice française mais il a agi afin de sauver des vies humaines. Autre exemple, en Iran, Sahar Khodayari a été condamnée à 6 mois de prison pour avoir assisté à un match de foot, déguisée en homme car les femmes n’ont pas le droit d’entrer. Elle s’est finalement immolée par le feu à la suite de sa condamnation.  

     Le courage primitif s’apparente à un acte en réaction à un contexte, une action potentiellement dangereuse contre la situation établie. 

Le courage paradoxal : aller à l’encontre de ce qui est communément accepté, de la doxa  

     Sans entrer dans l’illégalité ou la prise de risques physiques, faire preuve de courage ce peut être affirmer ses idées et ses positions dans un contexte socio-culturel apparemment contradictoire. Le courage est alors une fermeté d’esprit qui permet de soutenir des idées audacieuses, personnelles, dérangeantes, controversées. Cela correspond à défendre ce qu’on pense être juste dans un contexte qui soutient le contraire et réprime toute divergence.   
     Être courageux c’est oser avoir des opinions paradoxales ce qui signifie littéralement contre la doxa, c’est-à-dire l’opinion commune. Il est bien plus facile de suivre la position idéologique générale et les comportements socialement acceptés que de « diverger », prendre un chemin qui dévie la voie commune. Dans un groupe partageant des idées et valeurs, ce qui est courageux c’est prendre le risque de proposer une approche différente, une conception personnelle qui peut potentiellement déranger car autre. Cela vaut pour les idées de toutes sortes, qu’elles soient engagées politiquement ou non, et les comportements et modes de vie entre autres. Mon premier exemple est celui de Simone Veil, ministre de la Santé sous Valéry Giscard d’Estaing, qui, en 1974, présente son projet de loi sur l’avortement devant une Assemblée majoritairement masculine et sceptique. Après des mois de lutte face aux injures et aux oppositions virulentes, elle parvient à légaliser l’IVG (Interruption volontaire de grossesse), ce qui marque une avancée considérable dans les droits des femmes en France. Mon second exemple se concentre sur les Etats-Unis où règnent religion et valeurs puritaines avec presque trois quarts de la population qui se déclarent chrétiens. Le courage intervient alors dans la force d’assumer son athéisme dans une famille et une communauté majoritairement croyante. 

     Le courage paradoxal est un acte socialement engagé puisqu’il correspond au fait d’affirmer une position personnelle dans une communauté plus large.  

Le courage personnel : oser agir et accomplir quelque chose même en l’absence de danger apparent 
 
     Faire preuve de courage peut aussi intervenir dans sa relation avec soi-même. En effet, il n’est pas nécessaire d’entrer en interaction avec une ou plusieurs personnes pour se confronter à une épreuve qui pose problème et demande de la force pour la surmonter. Une phobie, une peur d’agir face à l’inconnu, un manque de confiance en soi sont autant de formes qui requièrent du courage pour être dépassées et pour avancer. Le courage correspond alors au fait d’oser se confronter à l’imprévisible sans connaître l’issue de son action, agir, changer, bouger, se surpasser.   
     Le problème peut aussi bien venir d’un objet extérieur comme la phobie de l’eau ou du vide par exemple - bien que l’origine soit psychologique - ou encore la peur d’accomplir une action comme postuler à ce nouveau travail qui semble inaccessible ou aller parler à cette personne qui nous plaît. Mais les épreuves que l’on peut vivre au quotidien trouvent également leur source à l’intérieur de soi-même, dans sa relation avec son propre corps, sa vie, ses pensées et ses envies. Le courage revient donc à parvenir à s’assumer, s’accepter, s’aimer. Bousculer son confort quotidien et ses peurs et croyances c’est faire preuve de ce que j’appelle le courage personnel. 

Le courage de tolérance et d’abnégation : tolérer, endurer une situation (choisie ou non) 
 
     Enfin, il me semble qu’il existe une autre catégorie de courage à laquelle on pense peut-être moins mais qui finalement est perceptible dans notre quotidien : le courage de tolérance. On a tous déjà dit ou entendu ce genre de phrase : « elle/il a bien du courage de… ». Le courage apparaît alors comme une force morale qui s’oppose à la facilité et au confort. Être courageux c’est alors supporter, tolérer et endurer une situation éprouvante. C’est un effort fait sur soi-même, une force mentale qui permet de résister à une épreuve ou une situation plus longue. 

     Ce contexte éprouvant peut ou non être choisi par l’individu : situation familiale, professionnelle, relationnelle, personnelle… Parfois il semble complexe de se délier d’une situation pourtant peu agréable et confortable comme une vie de famille fondée sur la charge mentale, une carrière professionnelle peu satisfaisante mais momentanément invariable car l’argent gagné est nécessaire à la survie de l’individu et/ou de sa famille… Ce courage c’est supporter voire s’infliger une situation de vie inconfortable, comme un sacrifice de soi, dans l’objectif de préserver une forme de stabilité ou de bien. C’est comme une forme de moindre mal : ce n’est pas ce qu’il y a de mieux mais cela reste moins pire que si on ne bénéficiait pas de l’équilibre relatif que procure ce mode de vie. 
  
Le courage est une force mentale que chacun.e peut cultiver… 
 
     Grâce à cette brève typologie (non exhaustive) j’ai tenté de montrer que le courage n’est pas seulement celui des super-héros mis en scène dans les comics ou les films de grosses productions américaines. Non. Le courage est à la portée de tous et prend des formes multiples parfois ordinaires. Affronter la vie c’est déjà faire preuve de courage car on se lance dans une aventure dont on ne connaît ni les épreuves ni la fin - à l’exception du fait que l’on va mourir -. L’imprévisible tout comme le connu peuvent être source de peur voire d’angoisse. Dès lors, chaque événement, chaque rencontre, chaque changement peut être prétexte à améliorer et cultiver son courage. Cette qualité n’est pas innée, tout comme la confiance en soi par exemple, et doit donc se construire au fur et à mesure des expériences que l’on fait. 



Nourriture de l’esprit - Mind food 


Littérature 

ATWOOD MargaretLa Servante écarlate (The Handmaid’s Tale), 1985 
DE BEAUVOIR Simone, Mémoires d’une jeune fille rangée, 1958 
STENDHALLe Rouge et le Noir, 1830 

Cinéma 

Papicha de Mounia MEDDOUR, 2019, avec Lyna Khoudri et Shirine Boutella : COUP DE CŒUR 2019 / Ce film dont la sortie au cinéma a été interdite en Algérie est juste incroyable : les personnages, l’histoire, les choix de mise en scène, la réalisation, le montage. Tout, absolument tout participe du choc esthétique et émotionnel que l’on ressent lorsque l’on visionne ce film. L’histoire se concentre sur Nedjma, une jeune femme qui rêve de devenir styliste dans l'Alger des années 1990. La narration de son histoire personnelle entre en relation et en collision avec celle du pays et de la capitale algérienne à l’époque, un contexte politique et social marqué par le fanatisme et le terrorisme.  

Désobéissance (Disobediencede Sebastián LELIO, 2017, avec Rachel Weisz et Rachel McAdams : Ce film retrace l’histoire de deux femmes amoureuses l’une de l’autre alors que l'une d'elles est mariée et qu'elles vivent dans un environnement juif-orthodoxe. 

Les Chatouilles de Andréa BESCOND et Eric METAYER, 2018, avec Andréa Bescond et Karin Viard : Odette, une femme qui a été victime d’abus sexuels dans son enfance tente malgré tout de vivre et d’avancer. Cette histoire peut représenter différentes formes de courages dont celui d’endurer, de supporter et de surmonter des épreuves. 

Sauver ou périr de Frédéric TELLIER, 2018, avec Pierre Niney et Anaïs Desmoustier : Franck, Sapeur-Pompier de Paris, est victime des flammes lors d’une intervention où il se sacrifie pour sauver ses hommes. Le film retrace notamment les différentes étapes de sa reconstruction. 

Grâce à Dieu de François OZON, 2019, avec Melvil Poupaud et Denis Ménochet : Ce film, qui a failli être interdit de diffusion en salle, met en scène plusieurs formes de courage : celui des personnages mais aussi celui du réalisateur qui produit un film polémique et source de controverses autour de l’Eglise catholique. Inspiré de faits réels, on y trouve plusieurs hommes victimes d’abus sexuels au cours de leur enfance qui tente de se reconstruire et d’obtenir justice. 

Séries 

The Handmaid’s Tale (La Servante écarlate) de Bruce MILLER, 2017, avec Elisabeth Moss : / MEILLEURE SÉRIE EVER / Dans une société étatsunienne dystopique et totalitaire, un nouveau système hiérarchique est mis en place afin de répondre à la chute des natalités. Les femmes sont alors constitutionnellement soumises aux hommes et la série, inspirée du roman de Margaret Atwood suit June, une servante prête à tout pour retrouver sa fille et quitter Gilead. 
PS : j’en reparlerai très certainement dans un article sur le rapport au corps, à la féminité et à la maternité 😉 

The Good Doctor de David SHORE, 2017, avec Freddie Highmore : Shaun Murphy est un jeune homme autiste atteint du syndrome d’Asperger et son rêve est de devenir chirurgien. La série suit donc son parcours et son intégration dans la société et le milieu hospitalier.  

Mytho de Fabrice GOBERT et Anne BEREST, 2019, avec Marina Hands et Mathieu Demy : Quand le courage de tolérance atteint ses limites et que la charge mentale dépasse l’individu cela donne Mytho, une série où Elvira, mère et épouse dévouée décide de faire croire à toute sa famille qu’elle a le cancer afin qu’elle fasse plus attention à elle. Honnêtement la série n’est pas exceptionnelle mais elle soulève des réflexions intéressantes ! 

Personnages historiques 

Rosa Parks – Simone Veil – Frida Khalo – Malala Yousafzai – Galilée Copernic – Newton – Albert Einstein – peintres impressionnistes comme Claude Monet ou Auguste Renoir – peintres abstraits comme Kasimir Malevitch ou Robert Delaunay – Stephen Hawking – …  

Tu peux compléter cette liste toi-même si tu en as envie. En réalité, il n’y a pas que les personnages célèbrent qui font preuve de courage comme tu l’auras compris ! 😉  


Toutes les photos et réflexions sont personnelles, merci de respecter les droits.

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